Le Tuishou

Un passage à l’acte incontournable

Claudy Jeanmougin

13 janvier 2005


Le Tuishou (la poussée des mains) est une étape importante dans la pratique du Taiji quan. Il est souvent négligé pour des raisons multiples dont la plus importante est qu’il semble ne pas avoir de liens directs avec la pratique de la forme. Dans ces quelques lignes, nous vous proposons une découverte de cette discipline magistrale pour qui veut bien s’aventurer sur un terrain où le corps se met à nu dans son entier, où l’ego est mis à rude épreuve…

 

Nous pensons qu’il vaut mieux éviter, au début de cette pratique, de se cacher derrière une technique qui occulterait l’essence du Tuishou. L’entrée en matière est bien le corps : un corps qui s’offre, un corps qui explore. Il ne pourra s’offrir que s’il est ouvert et, pour cela, il est indispensable que sa « bulle corporelle » ne soit pas dans une carapace, avec cette fâcheuse idée d’une protection sûre. En premier, il faut donc accepter d’être touché, palpé, modelé, à la manière d’un massage corporel, sans craindre une mauvaise intention puisque celle-ci sera immédiatement détectée par votre corps. Ce toucher corporel sera une redécouverte de votre corps à travers l’autre. Ainsi, vous procédez à une reconstruction progressive de votre corporéité avec l’idée que vous en avez associée au ressenti de la palpation. Accepter que son corps soit en contact avec une main qui n’est pas la vôtre, c’est être capable de toucher soi-même car un contact est déjà un échange, et toute partie du corps peut être considérée comme une main (l’un des principes du Tuishou).

 

Ne croyez pas que l’étape précédente soit aussi évidente que cela paraisse. Nous pensons que la coquille corporelle est l’un des freins majeurs à la pratique du Tuishou. Une fois cette étape franchie, nous pourrons passer à la levée des tensions tissulaires dans la dynamique de l’homme debout. C’est le moment pendant lequel les exercices de base du Tuishou ont leur place. Cependant, l’inconvénient de ces exercices qui doivent être répétés inlassablement est, justement, leur répétition. Très vite, des automatismes s’installent et font oublier aux pratiquants qu’ils doivent être présents dans leurs gestes. C’est pourquoi, d’autres exercices sont préconisés de façon à relancer régulièrement l’attention. Les tensions tissulaires sont omniprésentes et leurs causes sont multiples car associées à la vie de l’individu. Il faut les découvrir en procédant à une écoute attentive de tout ce qui se produit dans sa gestualité. Ceci est le premier pas pour développer le Ting jin, l’énergie d’écoute.

 

Lorsque l’énergie d’écoute commence à naître, nous pouvons aborder l’étape suivante qui est la restructuration corporelle. Nous pouvons encore une fois utiliser les exercices de base du Tuishou avec cette intention précise, ce qui modifie légèrement la manière de les réaliser. Qu’entendons-nous par restructuration ? C’est tout simplement le retour à l’unité, ou sa recherche. Notre vie (éducation, culture, expériences fâcheuses, etc.) fait que notre corps est morcelé, désuni, dispersé. Il nous faut donc le reconstruire autour d’un axe de vie qui est notre verticalité. Cette verticalité qui met en cause notre équilibre soumis aux lois de la gravitation. Cette unité est indispensable pour mettre en pratique le principe suivant : « Quand une partie du corps bouge, toutes les parties se meuvent ».

 

Mieux encore, quand on fait des exercices spécifiques à la restructuration, il est possible de lever des phénomènes douloureux. C’est en ce sens que le Tuishou est parfois qualifié de thérapeutique. Il ne faut pas voir en ce terme un quelconque abandon de la finalité du tuishou, c’est seulement une étape qui à nos yeux a une grande importance. En fonction de son passé, cette étape sera plus ou moins longue. De toute façon, la restructuration est une nécessité du quotidien du fait de notre vie.

 

Cette fois, il est possible d’aborder la poussée puisque nous avons conscience de nos déficiences et que la poussée sera un moyen de les combler. Pousser semble facile et pourtant… Combien se repoussent au lieu de pousser l’autre ? Il faut que la poussée soit chargée d’intention qui mobilisera les énergies du corps. Appliquons les deux principes « Ecoute de l’énergie » et « là où se dirige la pensée l’énergie suit ». La mise en œuvre de ces deux principes nous oblige à des étapes successives qui nous feront mieux comprendre la finalité du Tuishou. D’abord l’écoute, c’est-à-dire prendre conscience de la direction de la poussée de l’autre ; ensuite charger sa poussée d’intention, c’est-à-dire la diriger vers une partie précise du corps du partenaire. Cette deuxième étape est ce que l’on nomme la conduite de l’énergie. Quand on met en application ces deux principes en même temps, il y a un phénomène d’accélération qui se produit dans l’apparition des principes. Tout à coup, ils s’additionnent. En fait, vous prenez conscience qu’un principe ne peut pas exister sans l’autre, leur présence s’impose à vous et votre regard sur eux devient plus éclairé.

 

Il faut aussi que la poussée ait une racine et « la racine est dans le pied » disent les Classiques. Entre la poussée de la main et la racine de la poussée (le pied) il faut une cohésion, un lien : c’est lier le haut avec le bas. La conduite de l’énergie ne sera fluide que si « haut et bas sont bien reliés » est-il dit dans les Classiques. Quand tout cela est au point, alors il est possible de pratiquer les Fajin,, l’expression de l’énergie. Cette fois la poussée est une et sans retour. Elle demande la mobilisation totale du corps en un très court instant. Pousser prend tout son sens dans le Fajin.

 

A la fin de ce parcours qui nous a conduit de la rupture de la coque corporelle au Fajin, nous constatons que les principes essentiels du Taiji quan trouvent leur pleine expression. Nous pensons d’ailleurs que ces principes que nous développons dans l’apprentissage de la forme sont nés dans la pratique du Tuishou. En retour, le Tuishou sera le révélateur de votre capacité à traduire corporellement l’ensemble des Principes Essentiels du Taiji quan.