Les Huit Technique - Bafa 八 法

ou

Les Huit Portes – Bamen 八 門

1 - Peng et Lü


Peng  倗, Lü 履, An 按, Ji 擠, Cai 採, Lie 捩, Zhou 肘et Kao 靠sont les huit techniques de main ou Bafa. Il me plait également de donner le nom de Bamen à ces techniques bien que je n’aie jamais entendu Laoshi utiliser ce terme. En effet, percer le secret des énergies développées par ces techniques n’est-ce pas franchir la porte qui conduit à une autre connaissance et, surtout, à une autre pratique ?

Comment traduire ces mots en anglais ou en français ? Des traductions existent et aucune d’elles ne me convient. C’est pour cette raison que je préfère développer le concept de chacune des portes pour ne pas entraîner le lecteur dans de fausses images. Sans être familier de la langue chinoise, tout pratiquant de notre discipline peut retenir ces huit termes sans trop de peine.

Pour poursuivre cet article, il convient de bien différencier la forme gestuelle d’une porte de son expression énergétique. Par exemple, la forme gestuelle de AN, souvent montrée comme une poussée de l’une ou des deux mains, est très souvent utilisée pour exprimer l’énergie de PENG dans la pratique du Tuishou. Dans le Shi San Shi, les formes gestuelles des portes sont très clairement indiquées parce qu’elles sont certainement les plus appropriées pour exprimer le type d’énergie que leur nom indique. D’où, parfois, la confusion entre la forme gestuelle et l’expression énergétique, confusion d’autant plus grande que le nom est le même. Pour éviter de mélanger les deux notions, nous parlerons de Peng-jin quand il s’agira de l’expression énergétique et de la forme Peng pour exprimer sa forme gestuelle.

Malgré un séjour relativement prolongé à Taiwan, je n’ai pas eu la chance de recevoir la moindre information de la part de Laoshi sur ce sujet. Il semble que pour lui ce fut tellement évident qu’il a omis de nous apporter quelques précisions. Ce que je vais donc avancer ne relève que de ma personne. Si un lecteur peut apporter des compléments d’information, ils seront évidemment les bien reçus.

Pour étayer cet article, je vais me servir des chants sur les Bafa extraits du livre « The Tao of Tai-chi Chuan » de Jou Teung Hwa . Si parmi vous quelqu’un possède les textes chinois originaux, je serais très heureux de les recevoir. Je reprends également quelques éléments des deux premiers volumes que j’ai produits sur le Yangjia Michuan Taiji chuan.

 

I - ENERGIE DE PENG – (PENG-JIN)

D’après mes élèves chinois, il semblerait que Peng soit aussi la palissade de bambous qui servait d’enceinte pour protéger les villages. Elle offrirait à la fois résistance et élasticité. Ceci est d’autant plus intéressant que l’image de Peng développe une force de rebondissement. Imaginez un énorme ballon vers lequel vous courez à toute vitesse. Au contact, il absorbe votre course avant de vous renvoyer sur votre postérieur… A la force de compression, Peng réagit par une expansion globale propulsive.

Que dit le chant le concernant :

« Peng is somehow like the water buoying a moving boat.

First one must sink Chi to the Tan-tien,

Then set the head upright as if suspended from above.

The whole body should be full of elastic energy,

‘Opening and closing’ in just one moment.

Even if there is a thousand pounds force,

It is easy to float without difficulty. »

Un bateau dans l’eau subit en permanence la poussée d’Archimède : dès qu’il s’enfonce un peu plus, il est immédiatement repoussé. Par contre, s’il s’enfonce trop il risque de couler et c’est souvent ce qui se produit dans la pratique du Tuishou quand on absorbe trop la poussée de l’autre en pliant excessivement. Dans ce cas, la force d’élasticité est rompue et PENG-JIN ne peut pas s’exprimer. Ceci traduit le manque de compréhension de la notion « ouverture-fermeture ». Pour qu’il y ait une expansion élastique, il faut d’abord être en expansion. C’est elle qui permettra le rebondissement suite à une compression (fermeture ou rétraction).

Transformation de PENG-JIN

La transformation la plus classique est celle de PENG en LÜ-JIN. Conservons l’image du ballon qui est pressé. Il suffit que le centre du ballon soit légèrement désaxé par rapport à la force pour que celle-ci soit déviée dans le vide. Dans ce cas, le PENG-JIN n’est pas exprimé, la transformation s’opérant immédiatement au moment de la compression.

Une fois le vide créé, toutes les autres portes peuvent être générées sans peine.

Forme PENG

Ayant compris ce qui précède, il va de soi que la réalisation de la forme gestuelle de PENG doit comprendre un mouvement d’expansion préalable et non une rétraction comme cela peut se constater. Ceci est très évident dans la troisième séquence du Shi San Shi où PENG précède LÜ : durant le pas en arrière, l’expansion de PENG doit naître afin que le LÜ se génère naturellement.

Conclusions

PENG-JIN développe une force de rebondissement.

Lors de l’expansion de la forme PENG, le centre peut-être déplacé pour générer un LÜ aisément, ou toute autre porte.

La forme PENG dans sa phase préparatoire de PENG-JIN est une technique d’esquive qui prélude à une transformation, alors que PENG-JIN est offensif.

 

II – ENERGIE DE LÜ – LÜ-JIN

Évidemment, la première image est celle du vide. Qu’importe toutes les fausses traductions, retenons que le vide n’existe que parce qu’il y a autour. Oui, pour créer le vide, il faut un entourage ! De quelle nature peut-il être ? Nous vous avons signalé que PENG était un atout majeur à LÜ. Est-il le seul ? Un simple mouvement d’esquive de quelque ordre qu’il soit peut offrir un environnement favorable à LÜ, dès l’instant où il n’y a aucune résistance.

Le chant concernant cette porte est très évocateur :

« let your opponent come in ;

Then rotate with his force.

Don’nt resist, but don’t lose contact.

You must be light and agile.

Let his force go its full range ;

Then it will be exhausted.

When his force is empty,

You may let him fall

Or you may attack if you wish,

But you must keep your balance

And not give your opponent a chance to take advantage. »

 

Bien évidemment, nous constatons ce qui a été énoncé pour PENG-JIN. LÜ-JIN apparaît comme une suite logique de la forme PENG, mais pas seulement d’elle comme nous le verrons dans l’étude des autres portes. Si nous prenons encore l’exemple de l’eau, c’est le tourbillon qui engloutit. La force de LÜ-JIN est encore dans la rotation au moment de l’esquive. Retenons deux principes essentiels dans LÜ-JIN : faire le vide (esquive) et utiliser la force de l’adversaire pour la lui rendre, ou le faire plonger davantage.

Transformation de LÛ-JIN

Au moment où l’adversaire chute dans le vide, il est grand temps de prendre l’avantage en effectuant une transformation, c’est-à-dire une génération d’une autre porte. Encore une fois, il est possible de générer toutes les portes mais celle qui apparaît en premier est AN-JIN. Ou encore PENG-JIN, comme nous l’indique certains exercices de base du Tuihou.

Vous serez étonnés que je me réfère souvent au Tuishou, mais n’est-ce pas l’instant où il est possible de vérifier la qualité de sa pratique ? Tout pratiquant de notre discipline qui ne se frotte pas au Tuishou risque de se leurrer dans une pratique qui demeurera stérile.

Forme LÜ

La forme gestuelle conventionnelle de LÜ que nous retrouvons dans le Shi San Shi montre un point important : éloigner son centre de gravité pour ne pas donner prise à la force adverse. Encore une fois, dans l’esquive, l’expansion précède la rétraction : ouvrir pour fermer ensuite. Dans le LÜ, ne faut-il pas aller « cueillir » dans l’expansion pour vider dans le relâchement ? Comprenez alors que toutes les traductions, tant françaises qu’anglaises, sont totalement inappropriées.

Conclusions

LÜ-JIN est une force qui entraîne dans le vide.

Au préalable de LÜ, PENG est d’une qualité inestimable.

LÜ est également la porte ouverte à toutes les autres dès l’instant où l’on a compris ce qu’était une transformation.

La forme LÜ dans sa préparation est une expansion : la rétraction étant le vide offert.

 

III - Autres approches

Evidemment, il n’est pas possible d’envisager les Huit Portes, ou Huit Techniques, sans faire référence aux trigrammes, bien que cette notion soit l’affaire d’intellectuels comme le dit Maître Wang.

PENG est rattaché au trigramme QIAN, le CIEL alors que LÜ se rapporte au trigramme KUN, La TERRE. De l’extrême YANG à l’extrême YIN, il y a entre les deux l’homme. Ce sont deux opposés qui se complètent selon la loi des SAN CAI. Curieusement, nous retrouverons toujours ce même rapport au Ciel et à la Terre : PENG-JIN, extrême YANG, opposé à LÜ-JIN, extrême YIN, constituant des opposés complémentaires selon la loi du Taiji.

Dans la pratique, nous retrouvons régulièrement ces deux portes en opposition. Il suffit de se rendre aux Rencontres Jasnières pour faire ce simple constat. Mais les Rencontres Jasnières n’ont pas cet apanage. Par exemple, l’Aikido joue énormément sur LÜ, avec l’addition de quelques PENG, ou ZHOU pour les plus hardis, suivis de LIE.

Vous constaterez à la lecture des articles sur ce sujet que tous les couples ont pour centre l’HOMME, avec un pouvoir de décision qui lui appartient. N’est-ce pas la preuve d’une grande liberté d’expression que notre Art puisse offrir ?

 

Enfin…

La suite de cet article paraîtra dans les prochains numéros. Je souhaite sincèrement que ce premier écrit soit l’objet de dialogues afin de faire évoluer notre style relativement muet sur ce sujet. Le président de votre association a été clair dans ce domaine : faire en sorte que notre style évolue malgré des prises de positions « académiques »… Maître Wang ne nous a pas tout dit, nous avons le devoir de poursuivre sa quête pour le respect de sa personne.

 

Écurat, septembre 2006

Article paru dans le magazine de l'AYMTA et le Bulletin de l'Amicale du Yangjia Michuan

 

Les Huit Portes – Bamen 八 門

2 - An et Ji

Ce second article est consacré à AN et JI, ce qui complète la première série de quatre portes associées aux directions ordinales. Ce qui nous a toujours surpris dans cette suite de quatre portes c’est l’ordre dans lequel elles sont placées. Dans les textes classiques, nous avons toujours l’ordre suivant : PENG-LÜ-JI-AN, alors que, dans notre style, la suite est PENG-LÜ-AN-JI comme l’illustre le BA FA (Les Huit Techniques) qui est la pratique à deux de la troisième séquence du Shi San Shi. Nous avons donc le droit de nous interroger sur l’intérêt d’avoir un ordre spécifique dans les Classiques quand, dans notre pratique, la suite est différente.

Nous savons que ces portes sont toujours associées deux à deux : PENG avec LÜ et JI avec AN. Ces associations se retrouvent dans les axes directionnels : PENG-LÜ pour l’axe Sud/Nord, AN-JI pour l’axe Est/Ouest. Si nous situons ces portes selon les orientations chinoises avec le Sud en haut et l’Est à gauche et que nous les lisions selon les modalités de la lecture chinoise soit de haut en bas et de droite à gauche, nous avons effectivement la suite PENG-LÜ-JI-AN. Sommes-nous sûr que cette raison soit la bonne ? Non ! C’est pourquoi nous faisons d’autres propositions comme celles des enchaînements possibles des formes gestuelles de ces portes. Par exemple, pouvons-nous enchaîner les formes gestuelles LÜ et JI ? Cela est possible et les Classiques nous l’indiquent par cet ordre non conventionnel dans une pratique courante. Il est fort probable que la suite proposée n’a aucune importance et que seuls comptent les couples formés. Peut-être aussi est-ce une indication pour ne pas mélanger forme gestuelle et énergie dégagée par la forme gestuelle…

 

I – ENERGIE DE AN – (AN-JIN)

La forme gestuelle de AN avec la « poussée » d’une main, ou des deux mains, éloigne la plupart du temps le pratiquant de l’expression énergétique de cette porte. Si la pratique se limitait à cette simple confusion ce ne serait pas très grave mais qu’en est-il du juste moment de l’expression de la porte ? Combien de pratiquants sont-ils persuadés d’effectuer une « poussée » à partir du « creux de la vague » ? Alors qu’en fait il ne peut pas en être ainsi. De plus, la traduction de AN, que ce soit en anglais ou en français (push ou pousser), est un grand facteur d’induction d’erreur… Avec AN on ne pousse pas, ou pénètre… comme tente de nous l’expliquer le chant s’y rapportant :

« An is like the force of the river water.

Gently the water flows,

But how great is the strengh concealed within ?

The furius current is difficult to stop.

It envelops the high rocks with a wave ;

And downwards it drives to fill the hollow caverns.

Water overcoms all ! »

 

Ne faut-il pas se méfier de « l’eau qui dort » ? proverbe français qui met en garde contre le calme apparent des choses et des événements. Le propre de l’eau est de s’insinuer dans le moindre recoin en comblant le plus petit des vides. L’eau pénètre partout en s’infiltrant et en minant par pourrissement n’importe laquelle des structures.

 

Alors ? Qu’en est-il de cette poussée que l’on confond ingénument avec un PENG ? Car tel est bien le cas : qui croit effectuer un AN réalise en fait un PENG… La méprise est de taille car AN se différencie justement de PENG par cette capacité de pénétration insidieuse, alors que PENG n’est qu’un évident rebondissement, sans vraiment une grande surprise. Avec l’énergie AN, je ne pousse pas, je pénètre les vides. La réalisation de l’expression de AN ne pourra pas se faire sans une parfaite compréhension du vide et du plein.

 

Est-ce que AN-JIN ne peut s’exprimer que par les mains ? Comme n’a pas cessé de nous le répéter Maître Wang, chaque partie du corps est une main, et dans le Tuishou, il faut toujours avoir une main de plus que l’autre. Supposons que notre partenaire applique ses deux mains sur notre corps. Les deux points de contact de notre corps avec ces mains deviennent à leur tour des mains qui appliqueront le principe du Vide et du Plein. Cette fois, nous comprenons qu’au-delà du principe vide/plein, il nous faudra appliquer celui du Yin/Yang pour opérer les transformations.

 

Transformation de AN-JIN

Lorsque le vide est comblé, ne suffit-il pas d’appliquer n’importe quelle autres des énergies ? Si le JI est souvent avancé dans sa forme gestuelle, AN peut générer n’importe quelle autre porte car, une fois le vide comblé, un point d’appui s’offre pour servir toutes les énergies. Il me semble important de préciser que cette transformation repose sur celle du vide/plein.

 

Forme AN

La forme gestuelle de AN relève d’une virtuosité de la mobilité du bassin pour effectuer les alternances vide/plein en parfait cohésion avec celles du Yin/Yang. L’exemple que nous donnait Laoshi pour la réalisation de AN était celle d’un piquet enfoncé en terre que l’on secouait dans tous les sens pour le déraciner.

Dans la pratique de la forme nous devons comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple poussée. De ce fait, lorsqu’on réalise « Ru feng si bi », il ne peut pas y avoir poussée simultanée des deux mains, mais bien une alternance entre la gauche et la droite générée par des rotations du bassin. Si la Forme gestuelle de AN fait croire à une poussée du fait de l’image qu’elle renvoie, il n’en est absolument rien dans sa réalisation. Ceci est également vrai pour la première partie de « Ru Feng Si Bi » avec la « poussée » d’une main.

Conclusions

-       AN-JIN développe une énergie de pénétration.

-       Cette énergie n’a rien à voir avec une poussée souvent confondue avec un PENG (Rebondissement).

-       AN-JIN repose sur la juste compréhension du vide/plein associé à l’alternance Yin/yang.

 

II – ENERGIE DE JI – JI-JIN

Nous ne vous cachons pas que cette porte nous cause quelques soucis. Encore une fois, la traduction française « presser » est identique à la traduction anglaise « to press », avec le même inconvénient d’incompréhension si on s’y arrête. Presser c’est prendre un contact puis y exercer une force soit constante soit progressive, mais il n’y a pas de choc au départ. Or JI ne peut pas se limiter à ce type d’énergie qui « écraserait », du moins c’est ce que nous pensons

Le chant relatif à JI-JIN est troublant :

« There are two ways to apply Chi.

The direct way is with an intention,

" opening and closing " is just in a moment.

The indirect way is to use the reaction force

Like a rubber ball hitting the wall and rebounding

Or a coin thrown on a drumhead.

Let the opponent be like the coin

Bouncing off with a tinkling sound. »

 

Ce chant nous explique qu’il y a deux manières d’exprimer l’énergie de JI : l’une directe, l’autre indirecte.

L’intention de la première modalité d’application de JI est celle d’ébranler l’adversaire au juste instant par le jeu simultané d’ouverture/fermeture. C’est la rétraction dans l’expansion qui sera à l’origine de JI. Pour nous, cette force « d’ébranlement » minera la structure de l’intérieur et aura pour résultat l’effondrement. Le triste exemple que nous pouvons donner pour illustrer cette force est l’effondrement des tours du World Trade Center après la pénétration des avions. Les avions ont pénétré la structure des tours en l’ébranlant, puis, minées de l’intérieur, les tours se sont effondrées.

Pour ce qui est de la deuxième manière d’appliquer JI, il en est tout autrement. Deux exemples nous sont donnés pour l’illustrer : l’élastique contre le dur (ballon contre un mur), le dur contre l’élastique (pièce de monnaie contre peau de tambour). On peut donc comprendre que dans l’expression on est soit le mur soit la peau de tambour, soit les deux en même temps. Ce qui compte est l’utilisation de la force de réaction de l’autre.

Dans le passé, nous avons dit que JI était un PENG appuyé d’un AN. Nous pensons que nous avons été influencé par la forme gestuelle de JI qui ressemble à un PENG sur lequel vient s’appliquer un AN. Même s’il y a pénétration, ce n’est pas celle du AN qui n’altère nullement la structure. JI ruine la structure. Même s’il y a une expansion qui se traduit immédiatement par une implosion, ce n’est pas celle de PENG qui provoque le rebondissement. Et c’est pourquoi le Chant nous trouble avec ces rebondissements de la balle et de la pièce de monnaie.

JI, dans son expression énergétique est très dangereux car il peut blesser un élément interne du corps sans que l’externe en montre le moindre signe. Un JI peut éclater une rate ou un foie sans qu’il y ait le moindre bleu sur la peau… Si le JI a été interdit dans les compétitions de Tuishou, c’est bien parce qu’il est dangereux, comme l’est le ZHOU et le KAO. Il est arrivé à certains « professeurs » de blesser leur élève qui se prêtait à une démonstration en réalisant, sans s’en rendre compte, un JI en frappant avec la paume.

 

Transformation de JI-JIN

Après ce que nous venons de dire, nous ne voyons pas pourquoi JI aurait des transformations en dehors de sa propre génération : JI transformé en JI. Cependant, il n’est pas interdit d’imaginer la transformation de JI en toute autres portes.

 

 

Forme JI

L’apparence de la Forme gestuelle de JI est effectivement un PENG + un AN. Mais, nous l’avons dit, JI-JIN n’est pas égal à PENG-JIN + AN-JIN. C’est JI-JIN avec sa spécificité d’expression.

Puis une question se pose, celle de savoir sur « quel pied danser »…Vous êtes tous au courant de la modification des appuis apportée à la réalisation de JI dans la troisième séquence du SHI SAN SHI. Il s’effectue avec un transfert du poids du corps sur le pied avant. Est-ce dérangeant ? Nullement, mais pourquoi alors ne pas apporter cette modification dans la forme à chaque fois que l’on fait un JI ? C’est une question qu’il faudrait poser aux moniteurs du Daoguan de Taipei.

En ce qui nous concerne, nous n’avons pas trouvé utile d’apporter cette modification car la forme se suffit à elle-même dans son état et les variantes du JI sont suffisamment induites pour ne pas les réaliser dans la forme. De plus, Maître Wang n’a jamais manqué de nous montrer ces variantes lors de la pratique du Tuishou.

Quelles sont donc ces variantes ? Elles sont illustrées dans le chant.

1.Forme Peng à droite et réalisation de JI avec appui sur le pied arrière soit le gauche.

C’est l’exemple du mur sur lequel le ballon rebondit. En appliquant le principe que la main pleine est controlatérale à la jambe pleine, celle d’appui, c’est le bras droit qui adopte la forme PENG qui sera plein, c’est-à-dire le mur.

2.Forme Peng à droite et réalisation de JI avec appui sur le pied avant soit le droit. C’est l’exemple de la peau de tambour sur laquelle la pièce de monnaie rebondit. En appliquant le principe précédent, le bras est vide et pourra donc se remplir en devenant élastique comme la peau de tambour.

Il existe une troisième variante qui consiste à passer de la variante 1 à la variante 2, c’est la transformation de JI en JI souvent montrée par Laoshi.

Conclusions

-       JI-JIN est une force d’ébranlement qui mine de l’intérieur.

-       Son application est dangereuse car elle risque de blesser sérieusement les organes et l’intégrité structurelle. C’est pourquoi il est interdit de l’utiliser en compétition de Tuishou.

-       Nombre de pratiquants pensent réaliser un JI-JIN alors que bien souvent ils ne font qu’un PENG-JIN.


Enfin…

Qu’est-ce qui compte le plus entre l’intention gestuelle et la forme gestuelle ? Entre la forme et ce qui émane d’elle ? Tout va dépendre de la finalité de la pratique, mais n’oublions pas que c’est l’énergie JING qui nourrit la forme et que la forme s’épuise en diffusant l’énergie.

 

Paru dans le magazine de L'AYMTA en avril 2007

 

Les Huit Portes – Bamen 八 門

3 - Cai et Lie

Avec ce troisième article, nous abordons les quatre portes associées aux directions diagonales. Dans l’enchaînement du Shi San Shi, mis au point par Maître Wang et ses premiers élèves, les formes gestuelles des quatre portes CAI, LIE, ZHOU et KAO sont réalisées selon cet ordre dans la troisième séquence, celle du Ciel. Elles s’exécutent en avançant et au recul ce sont les quatre premières portes qui s’effectuent dans l’ordre suivant : PENG, LÜ, AN et JI, ce qui fait que dans la pratique à deux du Bafa (les huit techniques) nous retrouvons ces portes associées deux à deux : PENG en réponse à CAI, LÜ en réponse à LIE, AN en réponse à ZHOU et JI en réponse à KAO.

 

Il ne faut pas se laisser abuser par la pratique du Bafa et croire que ces agencements deux à deux sont les seuls possibles. Qu’en est-il également du sens de la réponse ? PENG ne serait-il qu’une réponse à CAI ? Lui-même n’aurait-il pas un droit d’initiative qui demanderait une réponse particulière ? Le treizième exercice de base du Tuishou nous offre d’autres propositions : PENG-AN, LÜ-JI, AN-PENG, JI-LÜ. Il nous montre qu’il y a réciprocité et dans l’initiative et dans la réponse.

 

Il y a un autre agencement classique de ces quatre dernières portes proposé par le Diagramme des Huit Trigrammes du Ciel Antérieur de Fuxi où CAI se couple à LIE, et ZHOU à KAO. Ces couples sont des suites de gestes classiques dans l’enchaînement de notre style où ZHOU est toujours suivi de KAO, et où LIE est toujours précédé de CAI.

 

Si toutes les associations que nous venons d’indiquer peuvent s’effectuer facilement dans la forme gestuelle des portes, en est-il de même lorsqu’il s’agit de l’expression énergétique de la porte ? Par exemple la suite PENG-LÜ est-elle possible avec l’expression énergétique des portes par le biais des transformations ? En d’autres termes, est-ce que l’énergie de PENG peut se transformer en une énergie de LÜ ? Nous ne le pensons pas dès l’instant où c’est un Fajin, c’est-à-dire une émission énergétique qui épuise sa source dans l’instant et qui nécessite une sorte de nouveau remplissage avant une nouvelle émission. N’oublions pas ce grand principe énergétique qui dit que l’énergie nourrit la forme, mais que l’émission d’énergie épuise la forme, d’où cette nécessité de reconstruire la forme à chaque instant pour entretenir un flux d’énergie. Le Taiji quan n’échappe pas à cette règle. Ainsi, l’énergie de PENG ne peut pas être transformée en une autre énergie lors de son émission. Elle est PENG, et elle reste PENG de sa conception jusqu’à son expression. Alors, se pose la question de la réalité de la transformation ? Elle est bien présente mais dans la forme gestuelle des portes et s’exerce essentiellement sur une énergie autre que celle qui sera exprimée. Si les Maîtres Chinois donnent des noms différents aux énergies que nous travaillons, c’est bien qu’elles ne sont pas toutes de même nature. Dans le jeu des transformations, nous sommes sur une énergie de base qui est le Qi, c’est cette énergie qui est porteuse de l’intention, le Yi, qui prend forme sous la directive du Jing. L’émission finale, Jin, n’est qu’un résultat de tous ces processus et quand cette énergie est exprimée, il n’y a plus moyen de l’arrêter.

 

Nous voyons bien que gestes et intention sont toujours intimement liés dans notre discipline. Les transformations qui s’opèrent au niveau des portes dans leur aspect gestuel est un prélude à l’expression d’une énergie particulière qui sera décidée au dernier instant puisque, dans certains cas, il n’y aura plus la possibilité de la transformer. Lorsque nous parlons de la transformation d’une énergie, ce sera bien souvent avant que celle-ci ne soit exprimée comme pour le cas d’un PENG-JIN. Par contre, une énergie telle que CAI-JIN se prête très bien à une transformation, même dans son expression.

 

I – ENERGIE DE CAI – (CAI-JIN)

Dans notre style, la forme gestuelle de CAI pose toujours un problème lorsqu’on la rencontre pour la première fois que ce soit dans le long enchaînement après le RU FENG SI BI ou dans celui du SHI SAN SHI après SHOU HUI PIPA. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de demander à Laoshi si le geste de la main droite, celui qui fait effectivement le geste de cueillir, était bien un CAI. Et Laoshi de répondre qu’effectivement, c’était bien un CAI. Le geste de la main gauche dans ces deux mouvements est également un CAI, mais il ne pose pas de souci car c’est le même geste que nous retrouvons tout au début de la longue forme et qui porte justement le nom de CAI. Les gestes qui portent le nom de CAI proposent deux possibilités : cueillir au vol ou tracter vers le bas comme l’indique la traduction anglaise de CAI : « Pull down ». Que nous dit le chant ?

« Pull-down is like Libra’s scale.

Heavy or light-balance can be found.

Your partner’s force may be one thousand pounds ;

Yet your force of four onces can overcome.

How can this be ?

The answer is found in the law of the lever ;

Increase the distance from the fulcrum

And then balance will be found. »

 

La clé de l’énergie de CAI nous est donnée par deux images : la balance et le levier. Pour ce qui est du levier, plus le bras de levier est important et moins de force il y aura à déployer pour venir à bout d’un partenaire. Mais, pour pouvoir exercer un levier, il faut un point pivot (point d’appui du levier) et un point de levier, point où s’exerce la force du levier. Comme nous sommes dans une dynamique de mouvement, il s’agira de cueillir le geste du partenaire, d’aller dans son sens (utilisation de sa propre énergie) et d’y ajouter une once de force pour le dévier de sa cible et reprendre l’initiative. Il s’agit bien ici d’utiliser la force de l’autre en dépensant un minimum d’énergie. L’image de la balance est là pour montrer que si les plateaux sont chargés de masses lourdes égales, il suffit d’ajouter à peine un gramme d’un côté pour faire « pencher la balance ».

 

La discipline martiale qui illustre le mieux cette technique nous semble être l’Aikido. qui utilise les formes circulaires pour cueillir la force de l’autre et agir à la façon d’un moment de force. Nul besoin de développer une grande force, c’est celle de l’autre, du partenaire, qui fournira l’énergie nécessaire.

 

Comment pouvons-nous qualifier l’énergie développée par un CAI ? Nous dirons que CAI est une énergie d’accélération circulaire, ou linéaire, qui s’approprie la force de l’autre en installant des bras de levier à partir de points pivots.

 

Transformations de CAI-JIN

Nous pouvons dire que l’énergie de CAI est celle qui se transforme le mieux, comme si CAI était un point charnière à l’image d’un giratoire qui offre de multiples voies. CAI-JIN peut sans cesse se transformer en n’importe quelle autre porte sans aucun problème. Peut-être avec une prédilection pour l’énergie de LIE.

Forme de CAI.

Lorsque nous avons traduit le premier livre de Maître Wang, nous avons interprété CAI par “trancher” car tel était l’application qu’il nous en était donnée, celle de séparer une prise éventuelle d’un poignet, dans l’exemple du CAI de la première séquence de la forme avant le “Simple Fouet”. Nous reconnaissons que nous nous sommes accroché à la forme en négligeant l’aspect énergétique. La traduction anglaise “Pull-down” n’est pas mieux car elle ne montre encore qu’un aspect des applications martiales d’une forme gestuelle d’un CAI en ignorant l’impact énergétique. Il faut dire aussi que la forme gestuelle proposée pour illustrer le CAI est ambiguë et que nous avons bien du mal à exercer un bras de levier.

Pourtant, si nos Maîtres ont choisi ce geste pour illustrer le CAI, c’est que pour eux il y a un sens à donner à la posture, un sens qui ne se voit pas de prime abord tout simplement parce qu’il est dans la sensation de l’écoute. C’est bien une écoute aiguë qu’il faut développer pour trouver les points pivots qui permettront de réaliser le levier dans l’action de cueillir et peut-être que cette posture favorise le travail de cette écoute. Nous utilisons une autre posture pour découvrir les points pivots afin d’exercer les bras de levier dans un travail de contre résistance et elle n’est pas si éloignée de celle indiquée par nos aînés.

Dans notre style il y a de très nombreuses variantes de la forme gestuelle de CAI, mais celle qui nous semble le mieux illustrer l’énergie de CAI est le premier CAI de la longue forme, dès la première rotation du corps à droite après l’esquive à gauche et qui porte le nom “Cai Shou”.

Conclusions

-       CAI-JIN développe une énergie d’accélération pour saisir la force de l’autre.

-       L’Aikido nous semble l’art martial le plus démonstratif de la puissance d’un CAI.

-       Attention à ne pas se laisser leurrer par la forme gestuelle du CAI et des diverses traduction du terme chinois.

-       CAI-JIN est une énergie aisément transformable avec une attirance pour le LIE.

 

II – ENERGIE DE LIE – (LIE-JI)

Etrangement, nous retrouvons le même problème qu’avec CAI. Tout d’abord la traduction française, qui est “tordre”, et la proposition anglaise “split” qui donne l’idée de “déchirer”, de “séparer”, ne semblent pas refléter ce que le geste de référence évoque dans une approche approximative, et qui est un geste de bras de levier comme dans le BAN de la deuxième séquence, juste après “Frapper l’entre-jambe”. Si l’on ajoute à cela les applications de référence à LIE, nous constatons que la tendance est bien celle de faire un levier. Puisque deux termes chinois sont appliqués à des gestes qui associent dans une même famille, BAN et LIE, il doit bien y avoir une différence entre les deux. Entre “tordre“, “séparer” et “faire levier” qu’est-ce qui est le plus représentatif de l’énergie de LIE ?

Pour décrire LIE-JI, l’énergie de LIE, le chant évoque une force tournante qui peut être centrifuge ou centripète :`

« Lieh is like the flywheel,

Round and round it spins

But far it will send you,

If you venture too close.

Lieh is like the whirlpool,

With waves that roll.

Beware, the spiraling current

Will sink you without hesitation. »

 

La première strophe de quatre vers fait référence à une force centrifuge : tout objet venant à l’encontre d’une roue qui tourne est immédiatement éjecté vers l’extérieur. La deuxième strophe décrit une force centripète semblable au tourbillon d’eau qui aspire irrémédiablement. Si nous traduisons cela en termes martiaux, la force centrifuge procèdera aux projections avec fixations des articulations dans le sens opposé aux enroulements tissulaires, et la force centripète sera celle qui est utilisée pour les projections et les immobilisations avec fixation des articulations dans le sens de l’enroulement tissulaire. Dans les deux cas, il y a un mouvement spiralé qui démarre au niveau distal des articulations. Nous retrouvons encore une fois l’art des projections et des immobilisations de l’Aïkido.

 

Le terme “tordre” nous convient bien dès l’instant où cela consiste à aller soit dans le sens de l’enroulement soit dans le sens du déroulement tissulaire du partenaire. En abondant à ce sens, BAN n’échappe pas à la classe des LIE-JIN parce que l’idée de tordre est bien présente puisque les dommages causés à l’articulation résultent d’une force allant à l’encontre de l’enroulement tissulaire. C’est donc bien une force centripète d’origine spiralée.

 

LIE-JIN est bien une énergie qui développe une force spiralée qui se propage à travers les tissus.

 

Transformations de LIE-JIN

La forme spiralée est la clé de voûte de notre pratique puisque tous les mouvements du corps reposent sur cette dynamique articulaire due à la structure intime des articulations. Que de l’extérieur un mouvement semble pur, comme une simple flexion du coude, ne doit pas faire oublier qu’à cette flexion est associée une rotation. La flexion/rotation, ou l’extension/rotation, sont des mouvements qui ont une dynamique spiralée. C’est cette même dynamique qui jour un rôle de démultiplicateur, ou d’accélérateur, de mouvement. De ce fait, LIE-JIN a une grande capacité de transformation avec, peut-être, une faveur pour PENG-JIN.

Le mouvement spiralé inhérent à toute articulation se retrouve bien évidemment au niveau du bassin, générateur de tous les mouvements. Est-il besoin de travailler la spirale ? Il faut tout simplement découvrir, par un travail d’écoute minutieuse, ce qui est là, sans jamais le provoquer. Vouloir faire à tout prix une spirale risque d’aller à l’encontre de ce mouvement inhérent qui ne demande qu’à naître sans jamais être forcé. Laissons tout simplement aller le corps à la découverte de ce qu’il recelle.

 

Forme de LIE

Dans le grand enchaînement de notre style, ne sont évidents que ces LIE où les bras sont tordus, mais il y en a de nombreux autres qui apparaîtront dès que l’imagination sera libérée de l’image classique pour représenter LIE.     Prenez un LAN QIAO WEI par exemple et faite-lui appliquer des torsions spiralées sur un bras et vous verrez que l’enroulement se termine très bien avec une projection qui n’est rien d’autre que l’expression d’un PENG-JIN.

 

Conclusions

-       LIE-JIN développe une énergie spiralée qui se démultiplie en passant une articulation.

-       LIE-JIN naît dans la taille, et si la taille se meut dans le respect de la structure, les mouvements spiralés naissent d’eux-mêmes et se propagent chez le partenaire.

-       LIE-JIN est un prolongement idéal de CAI-JIN largement utilisée par les Aikidoka.

-       Si le terme “Faire levier” ne convient pas vraiment à LIE il n’en demeure pas moins que le levier est là dans la force de rotation. Ce qui compte, ce n’est pas le levier, mais l’effet du levier qui se propage dans un mouvement tournant.

 

Paru dans le magazine de L'AYMTA en octobre 2007