De la diversité des styles à la singularité de sa forme

Claudy Jeanmougin

Janvier 2006

L’entrée dans le monde du Taiji quan se fait par des portes obscures qui conduisent à un lieu de pratique où un style sera privilégié ; à moins que cette école soit très éclectique et qu’elle propose une panoplie de styles dans lesquels le débutant aura bien du mal à s’y retrouver.

 

De toute façon, très vite le débutant comprendra que le Taiji quan, comme tous les autres Arts Martiaux, a une arborescence qui en fait justement sa richesse, qui repose sur un tronc unique le distinguant des autres disciplines. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a qu’un seul arbre comme, par exemple, le style Chen car, historiquement, rien ne dit que ce style est à l’origine d’un autre comme le Yang. Ces arbres, aussi multiples soient-ils, sont tous de la même essence composée de principes dits essentiels qui jouent entre les données de l’énergétique chinoise et le respect de l’intégrité physique de l’être humain.

 

Face à ce choix multiple que choisir ? Y a-t-il vraiment une alternative pour celui qui découvre le Taiji quan puisqu’il ne sait pas ce que c’est ? On peut croire qu’un style s’impose à lui, malgré lui, et qu’il n’a pas d’autres solutions que de se joindre au groupe ou de le quitter, c’est-à-dire pratiquer ou non le Taiji quan. Évidemment, il n’y a pas que la discipline qui peut mener une personne à quitter une salle, l’enseignant ou le groupe peut ne pas convenir et c’est un autre sujet que celui de cet article.

 

Notre novice entreprend donc la pratique d’un style de Taiji quan. Supposons qu’il adhère à la pratique et assiste à une manifestation comme celle des Rencontres Jasnières. Tout en sachant que d’autres styles existaient, il est surpris de constater de réelles différences. Et s’il se rend aux Rencontres de l’Amicale où ne viennent que des pratiquants de notre style, il sera encore surpris des différences qu’il peut y avoir entre les personnes, qu’elles soient enseignantes ou non. Ou il se désespèrera de voir tout et n’importe quoi, ce qui est parfois vrai, ou alors il comprendra que la différence est inhérente au pratiquant lui-même, ce qui d’ailleurs a donné naissance aux divers styles. A ce stade il pourra se poser la délicate question de savoir s’il pratique le Taiji quan ou s’il ne fait qu’imiter au mieux son enseignant qui se pose tout de même comme un modèle à suivre.

 

Imiter est un passage obligé dans le processus d’apprentissage. Dès que le geste est perçu, il faut se défaire du modèle pour s’incorporer les gestes qui construiront une forme qui n’aura de réalité que par rapport à l’exécutant. Ainsi, la forme développée sera unique comme tout être est unique en soi. Et chacun développera un style qui lui est propre.

 

Sachant cela, qu’importe le choix du style. L’essentiel, n’est-il pas l’exploration gestuelle d’un corpus sur lequel on se sera fixé au lieu de papillonner d’un style à un autre avec ce souci d’imitation qui fera oublier sa propre personne ?

 

Je suis toujours très admiratif de ces « Maîtres » qui affichent une multitude de styles appris auprès d’autant, voire plus, de Maîtres. Après plus de 22 ans de pratique, j’estime avoir à peine gratter ce qui m’a été transmis par un seul Maître. Bien sûr, je vais voir ce qui se fait ailleurs, et pas seulement dans le domaine du Taiji quan, non pour m’enrichir de nouvelles techniques, mais pour tenter de trouver une réponse à certaines questions que me pose notre style. A quoi bon apprendre un autre style si c’est pour rester dans un perpétuel apprentissage de nouveaux gestes ? Pourquoi engranger des «formes » si c’est pour les laisser dans leur état sans se les incorporer, c’est-à-dire demeurer à un niveau purement démonstratif.

 

La réelle pratique semble, à mon avis, celle qui conduira à ce que la forme soit porteuse du mouvement et non plus une succession de gestes. D’ailleurs, c’est bien le drame de l’enseignant qui d’un côté doit avoir une certaine constance et d’un autre être en perpétuelle recherche. C’est bien pour cela qu’il s’efface de plus en plus au fur et à mesure du progrès des élèves afin que ceux-ci puisent en eux-mêmes le devenir de leur propre création. Oui, le Taiji quan est une création constante qui ne souffre aucune suffisance. Cette création demande une solide technique de base qui ne pourra s’acquérir qu’à force de répétitions et d’interrogation et non dans une débâcle gestuelle faite de becquées par-ci par-là, au grés d’errances faites d’insatisfaction.

 

Au beau milieu de l’immensité des genres, il faut être convaincu de sa singularité. Cette reconnaissance fera découvrir une identité qui est la sienne et qui ne pourra jamais être une autre que celle-là. Certain de ce fait, qu’importe donc le style pratiqué puisque dans tous les cas il ramènera à sa propre personne dans son devenir.

 

Un tel sujet ne peut pas se conclure. Il doit ouvrir des perspectives. C’est peut-être un conseil que le vieux routard que je suis peut vous donner : explorer sans cesse le peu que vous savez sans jamais faiblir à la tentation de l’égarement d’une multiplicité aussi attrayante soit-elle.

 

Ecurat, janvier 2006

La 21 ème année d’enseignement du Taiji quan Les 20 ans de l’ATA née entre quatre murs froids, au dernier étage d’un immeuble de quatre étages, dans un quartier populaire de Taipei, à De Xing Dong Lu dans Shi Lin, à Taïwan.