TUISHOU et PRINCIPES ESSENTIELS DU TAIJI QUAN

par

Claudy Jeanmougin

 

 

Les Classiques contenant les principes essentiels qui régissent la pratique du taiji quan ont tous ceci de commun de n'enseigner aucune technique. En ma qualité d'ostéopathe, j'ai déjà été mis face à une telle situation avec les Maîtres fondateurs qui n'ont jamais laissé le moindre mot sur une technique ostéopathique : tous leurs écrits se rapportent à la philosophie de l'ostéopathie et à des préceptes qui aident dans l'orientation de la pratique. Quels enseignements pouvons-nous tirer de ce constat ?

 

Il me semble bien que le domaine technique doit être totalement acquis puisqu'il n'en est pas question. C'est une sorte de condition préalable à toute compréhension. Demande-t-on à un professeur de maths de bien connaître sa discipline que sont les mathématiques ? Non, cela va de soi ! De la même manière, un pratiquant de Taiji quan se doit de bien connaître la technique s'il veut progresser dans la discipline. D'un autre côté, pour posséder une bonne technique, il faut mettre en application les principes, ces mêmes principes contenus dans les classiques. Comment faire pour nous sortir de cette impasse giratoire dans laquelle nous venons de nous engager ? La réponse est simple, il suffit de pratiquer puis de réfléchir sur sa pratique à partir de la compréhension que nous avons des principes.

 

Comme tous les grands traités, les Classiques du Taiji quan ont la particularité d'être à tiroirs, c'est-à-dire qu'ils se prêtent aux différents niveaux de compréhension qui évoluent en fonction de la pratique. Il ne sont pas totalement hermétiques et dédiés qu'aux initiés ou à une élite, ils demeurent ouverts à tous et encouragent à leur lecture dès l'instant où une grande part du temps est consacrée à la pratique. N'est-ce pas ce qu'enseigne "Le classique du Taiji" de Wang Zongyue lorsqu'il indique que : "c'est grâce à la pratique que l'on peut progressivement acquérir une compréhension de ce qu'est l'énergie. Fort de cette compréhension on est alors sur la voie de la connaissance. Sans une longue pratique assidue, il ne sera pas possible d'accéder à ce niveau où l'esprit est subitement éclairé".

 

Les Classiques sont à la fois source de questionnements et réponses aux problèmes rencontrés lors de la pratique. D'un certain côté, ils sont de véritables outils pédagogiques encore faut-il les décrypter. Le Taiji quan est une discipline qui se mérite et qui ne supporte pas l'autosuffisance. Pendant bien longtemps, rien ne sera jamais définitivement acquis, la voie est tracée par des préceptes qu'il faut absolument mettre en application. Il ne faut pas se complaire dans la médiocrité en croyant avoir abouti. Au regard de ces préceptes, comment en avoir l'entendement? Quelle est donc la "méthode"?

 

La réponse nous est peut-être donnée par cet extrait du Wen zi Lao Zi déclara : "…C'est pourquoi l'étude supérieure entend avec l'esprit, l'étude intermédiaire entend avec le cœur, l'étude inférieure entend avec l'oreille. Si l'on écoute avec les oreilles, l'étude reste au niveau de la peau. Si l'on entend avec le cœur, l'étude pénètre les chairs. Si l'on perçoit avec l'esprit, l'étude s'ancre dans la moelle. C'est pourquoi, si l'entendement n'est pas pénétrant, la connaissance n'est pas claire. Si la connaissance n'est pas claire, alors on ne peut achever (épuiser) l'essentiel. Si l'on peut épuiser l'essentiel, alors on peut atteindre la conduite accomplie. Le principe de l'entendement consiste à avoir le cœur vacant et quiet, à ce que les perversités (souffles viciés) ne prolifèrent pas, à demeurer dans le "sans penser" et le "sans préoccupation". ("La voie du bambou", Yen chan, éditions Almora, p.18)

 

Le Wen zinous décrit trois niveaux (qui peuvent être des étapes) de compréhension selon une qualité d'écoute qui se caractérise par un degré de pureté de l'esprit. Ici, l'entendement ne s'arrête pas à une démarche purement intellectuelle (l'oreille qui transmet aux sphères corticales), il fait ensuite référence au cœur qui fait appel aux sensibilités, puis à l'esprit dans sa capacité d'ouverture et d'appréhension du monde avec une incorporation en profondeur puisqu'elle atteint les moelles. Dans tous les cas, la compréhension se fera à partir de la pratique, car c'est avec elle que l'écoute s'effectue. Le niveau d'entendement dans lequel on se situe dépendra de la qualité de sa pratique. On a le Taiji quan qu'on mérite…

 

Pour illustrer ce qui vient d'être dit, nous allons prendre l'exemple de la "tête suspendue" dont il est question dans plusieurs classiques. Que signifie avoir la tête suspendue ? Si l'on s'arrête à cette simple formulation, on pourra imaginer une tête flottant dans les airs, au-dessous de laquelle s'articule le corps, tout comme l'est une marionnette. Une première compréhension peut conduire à vouloir suspendre la tête en la redressant, ce qui a pour effet de raidir la nuque. Or "Le Classique du Taiji de Wang Zong" de Wang Zongyue dit : "Relâchez la nuque et maintenez l'énergie au sommet de la tête". Outre qu'il indique que la nuque doit être relâchée, le texte précise qu'il faut faire remonter l'énergie au sommet du crâne. Nous ne sommes plus dans un mouvement de tête mais bien dans une mobilisation des énergies. Lorsque "L'esprit éveillé (Jin shen) peut monter au sommet de la tête, les mouvements ne seront ni lents ni gauches : c'est ce qu'on appelle suspendre la tête" est-il écrit dans les "Eclaircissements pour la pratique du Shi San Shi" de Wang Zongyue. Nous savons maintenant ce que signifie suspendre la tête : c'est quand l'énergie est capable d'aller au sommet du crâne.

 

Pour le moment, ce que nous savons c'est que la tête est suspendue lorsque l'énergie va à son sommet. Et ce n'est possible que si la nuque est relâchée. Ce que nous ignorons encore, c'est comment faire monter cette énergie. La réponse nous est donnée dans le "Chant du Shi San Shi" de Song Shuming : "Mets le coccyx dans l'axe afin que l'énergie spirituelle remonte au sommet de la tête. Que ton corps soit détendu et libre sous la tête suspendue". Voilà, un conseil de positionnement est indiqué puisqu'il faut mettre le coccyx dans l'axe. Maintenant, il s'agit de comprendre ce que signifie "mettre le coccyx dans l'axe". C'est la pratique qui donnera son avis et à nous d'expérimenter si par un travail d'induction mentale nous arrivons à faire monter l'énergie.

Vous pouvez observer que le principe de "La tête suspendue" fait appel à deux techniques : posturale (taiji, ou autre) et neigong (induction mentale des flux d'énergie). Mais pourquoi faut-il donc avoir la tête suspendue ? Pour que "tout le corps soit détendu et libre" afin que les mouvements soient libérés de toutes les contraintes inhérentes à la vie courante ; ainsi, il sera possible d'être à l'écoute. Puis, pour mettre en œuvre cette écoute, nous avons le Tuishou qui est une technique merveilleuse dès l'instant où l'on est prêt à jouer son jeu.

 

Chaque texte classique apporte une réponse à une question. Pour un même sujet, les réponses peuvent s'enchaîner d'un texte à l'autre comme nous l'avons vu pour la "tête suspendue". Aucun des textes n'a la prétention de tout révéler. Les questionnements apparaissent au fur et à mesure de la pratique, les réponses viendront de la même manière à qui sait lire et écouter.

 

Le Tuishou est la discipline qui est la mieux adaptée pour encourager la compréhension à condition de demeurer à l'écoute et de ne pas vouloir en imposer à son partenaire. N'est-il pas mieux de le respecter ce partenaire sans lequel aucune écoute ne serait possible? D'un autre côté, ne soyons pas trop sérieux et laissons-nous aller au jeu de la confrontation si tel est notre souhait. Un moment de détente ne peut faire que du bien. Au final, il faudra seulement reconnaître qu'il y a encore bien du travail sur la planche.

 

Ecurat le 16 janvier 08